23 octobre 2009

Echos d'une campagne




A deux jours du "scrutin", tous les projecteurs sont braqués sur la Tunisie, ce petit pays de l'Afrique du Nord dont on entend si rarement parler... On ne compte plus les articles, enquêtes et reportages menés par des journalistes étrangers qui décrivent en majorité un système politique fermé dans un pays qui est avancé par rapport à ses voisins sur le plan économique, mais qui recule sur celui des droits et des libertés. Corruption, népotisme, chômage... sont des mots qui sont revenus souvent dans ces articles, cette année plus qu'en 2004.

Le régime tunisien, qui n'a jamais autant manqué de crédibilité aux yeux des observateurs internationaux, réagit en ce moment avec les mêmes méthodes qu'on lui connait pour faire face aux critiques - contribuant ainsi à leur donner plus de crédit :
harcèlement et arrestation de journalistes et de militants tunisiens, reconduite à la frontière de journalistes étrangers, censure des papiers et sites critiques, et multiplication des efforts de propagande pour défendre ce qui est dévenu indéfendable. Un dernier bilan de RSF résume bien la situation. Dans cette bataille de l'image évoquée précédemment, il se justifie par des décisions et des discours ambigus et contradictoires, qui dénotent bien l'état d'angoisse dans lequel les technocrates du régime doivent se trouver actuellement. Le ministre de la communication en a fait les frais :"L’organisation du tirage au sort donnant l’ordre de passage [des candidats] a d’ailleurs valu son poste au ministre de la Communication, limogé sur le champ, pour ne pas avoir tiré la boule du chef de l’Etat de sa poche plus discrètement." RSF.

L'article publié aujourd'hui dans LaPresse tunisienne est d'ailleurs un bel exemple de contradiction. Pour défendre ce régime, devenu expert dans la récupération des référentiels démocratiques occidentaux pour servir son image de démocratie naissante et progressive, l'auteur n'hésite pas à attaquer ces mêmes valeurs de liberté et de démocratie auxquelles pourtant le régime lui-même prétend se référer... Le tout en prenant soin de jouer sur la fibre nationaliste en accusant ses détracteurs d'intentions néo-colonialistes :

"Réveillez-vous, les Tunisiens ne sont plus ces indigènes ignorants à la merci de ces prédateurs blancs venus leur donner des leçons. (...) Quand l’Occident, qui s’érige en chantre de la liberté, piétine les droits de l’Homme, ce cortège d’esprits dits démocratiques préfèrent regarder ailleurs, plus doués pour compter leurs exploits médiatiques que les cadavres des autres. C’est le revers sanglant de la médaille dorée de la liberté à l'occidentale "

Quelle est alors cette liberté "à la tunisienne" que ce régime dit construire depuis maintenant 22 ans et semble privilégier aux autres modèles? Est-ce celle qu'il a pratiquée au début des années 90 pour réprimer durement toute l'opposition politique, des islamistes à l'extrême gauche? Ou bien peut-être est-ce celle qu'il pratique aujourd'hui pour étouffer le mouvement de contestation qui continue de secouer le bassin minier de Gafsa?

Si l'Occident a bien voulu croire et nous faire croire qu'il fallait accorder du temps à ce régime pour qu'il puisse consolider ses bases économiques et sociales pour ensuite initier la transition démocratique, il est forcé aujourd'hui de constater que ce temps accordé n'a servi qu'à consolider son caractère autoritaire et arbitraire. La transition démocratique tant attendue n'a jamais eu lieu. Bien au contraire, une combinaison de libéralisation économique profitant à une minorité, de répression et de décor démocratique définissent le mieux aujourd'hui ce régime du "changement", si choyé par l'occident pour sa bonne coopération sur les questions sécuritaires, migratoires et de libre échange...Qui croit encore que ce régime peut accoucher d'une quelconque forme de démocratie? Nous sommes face à un système qui ne sait plus se renouveler, qui est en pleine crise identitaire et idéologique, et qui se discrédite lui même en entretenant ses propres contradictions...

Nous avons eu droit dans cette campagne "électorale" à un énorme gâchi de ressources et d'argent pour amuser la galerie avec des tentes, des cirques, des éléphants et des concerts...Nous avons eu droit aussi à un président absent, et à une présidente par intérim qui s'est carrément substituée à son mari pour mener compagne et prendre du galon, sans légitimité aucune, mais avec certainement la volonté de sauvegarder quelques intérêts.

A suivre...

16 octobre 2009

Constats amers


Nos gouvernants, qui sont censés parler et agir en notre nom, devraient être aussi les garants et les vecteurs d’un ensemble de principes et de valeurs qui nous unissent et nous définissent en tant que citoyens tunisiens. Aujourd'hui, je n'aime pas l’image de nous-mêmes que nous renvoient nos gouvernants, et ne me reconnais pas dans ces valeurs qu’ils nous transmettent.

Ces élections truquées et sans intérêt sont insultantes : que de mensonges, que de censure et de louanges pour "une Tunisie démocratique et prospère", qui n'est que pure invention de la propagande...La répression est à son comble, et aucune question n'est débattue ou analysée dans le fond. Les chômeurs diplômés ne sauront pas pourquoi ils sont si nombreux, les ménages ne comprendront pas pourquoi leur pouvoir d'achat est si faible, personne ne posera la question des libertés, de la corruption, ni ne demandera de comptes aux clans qui pillent un peu trop facilement le pays...

Je ne me reconnais pas dans cette république falsifiée, aux institutions effacées, qui prétend prendre le chemin de la démocratie alors qu’elle a pris depuis longtemps celui de l'oligarchie. Je ne peux adhérer à ces élites corruptrices et corrompues qui nous gouvernent, qui n’ont pour seules valeurs que le gain et le profit, et pour seuls idéaux que l'allégeance et l'égoïsme. Je ne comprends pas cette société de l'hypocrisie, qui veut que tout soit bien quand beaucoup de choses vont mal. Je méprise cette presse mensongère, cette administration courtisane et cette justice inéquitable.

J'observe le déroulement de cette compagne et constate amèrement que nous avons droit à la 5ème mascarade consécutive depuis 20 ans. La stratégie de la participation contestataire prônée par une partie de l'opposition montre une nouvelle fois ses limites. Celle du boycott suivie par une autre partie de l'opposition n'a quasiment pas d'effet, à part celui d'enrager encore plus le pouvoir. Jusqu'à quand le consensus tiendra-t-il? Jusqu'à quand allons nous privilégier le développement aux libertés? Si aujourd'hui la Tunisie est citée comme un modèle régional de développement humain et économique, elle présente aussi un contre-exemple de la participation et des libertés. Le constat est aujourd'hui clair : le salut du pays ne viendra pas de l'opposition, et encore moins du pouvoir. Mais de chaque tunisienne et tunisien qui prendront conscience de la gravité de la situation. J'espère qu'ils sauront le faire à temps...


06 octobre 2009

Guerre d'image



Les médias tunisiens sont devenus experts dans la récupération et la manipulation des résultats obtenus par la Tunisie dans les différents classements internationaux. Après l'indice de qualité de vie présenté comme le fruit de 20 ans de "changement", omettant de préciser que le score de 2009 était en recul par rapport à celui de 2008 ; ou l'indice "d'instabilité politique et de vulnérabilité à l'agitation politique et sociale" présenté comme un indice de stabilité et de progrès démocratique alors qu'il ne faisait que refléter l'immobilisme politique du pays, nous avons eu droit cette semaine à l'indice de la gouvernance en Afrique. Cette fois encore, l'information était incomplète : elle ne mentionnait que la moyenne des scores obtenus par la Tunisie sur 5 critères d'évaluation, évitant de parler des notes très moyennes obtenues sur 2 de ces 5 critères- et pas les moindres: "Participation et droits humains " avec 45.3/100 et "Opportunités économiques" avec 52.5/100. (Voir rapport)

Il ne s'agit pas là de nier la situation relativement bonne du pays comparé à d'autres pays africains ou du monde arabe sur le plan du développement humain (initié d'ailleurs bien avant le changement) ou de celui de la sécurité (au prix d'un contrôle et d'une surveillance accrus de la société), mais de dénoncer l'interprétation trompeuse de ces résultats et leur détournement systématique à des fins de propagande. Il faut dire que pour un régime obsolète et de moins en moins crédible, de tels classements, c'est du pain béni! Cette soif de reconnaissance à l'échelle nationale et internationale ne cache-t-elle pas le mépris d'une large partie de l'opinion envers un régime qui continue de tabasser ses opposants, et ce même en pleine période électorale?

Telle est la stratégie déployée depuis plus de 20 ans pour construire et refléter l'image d'une Tunisie tranquille, heureuse et apaisée et pour détourner le regard sur les dérives du pouvoir. A côté de la quasi-totalité des médias tunisiens qui sont exclusivement voués à cette basse besogne, d'autres magazines étrangers comme Afrique Asie , Arabies, ou dans une moindre mesure Jeune Afrique , tous très sensibles à la manne publicitaire de l'état tunisien, contribuent aussi à véhiculer une telle image en prenant soin d'éviter les sujets qui fâchent comme la question sociale ou celle des libertés.

Mais dans cette guerre de l'image, qui passe indéniablement par une guerre de l'information, le pouvoir n'a plus le monopole de la parole et perd depuis un certain temps du terrain. Des chaînes satellitaires comme Al Jazira, connue pour son ton libre et critique envers les dictatures arabes, continuent de déranger en donnant la parole à des militants et à des opposants tunisiens. Ce qui lui vaut régulièrement de véritables compagnes de dénigrement de la part du pouvoir. Actuellement, pas moins de
deux livres critiques sur la situation de la Tunisie circulent et peuvent être téléchargés sur le net. Toutes les tentatives de censure déployées pour contrer ces sources d'information alternatives n'ont pas réussi à empêcher leur diffusion. Dans cette guerre de l'image, le pouvoir ne cesse de perdre des batailles. Entre temps, c'est malheureusement l'image de tout pays, mal représenté, qui continue à se détériorer...