09 avril 2012

Tunisie : récit d'une matinée de violences


Pour une fois que j'étais à Tunis et que j'avais la possibilité d'assister à une manifestation, celle de la fête des martyrs en l’occurrence, je me suis dis que je n'allais pas rater cette occasion.


A dix heure du matin, j'étais déjà au centre ville, sur mon chemin vers l'avenue Habib Bourguiba. J'ai croisé sur la route plusieurs groupes de manifestants, drapeaux en mains, se dirigeant tranquillement dans la même direction. L'ambiance était détendue et pacifique. Les slogans scandés honoraient la mémoire des martyrs.


Arrivé à l'Avenue, l'ambiance y était différente, électrique. J'y ai trouvé plus de policiers que de manifestants. Les passants étaient dubitatifs, ne comprenant pas réellement ce qui s'y tramait. Ils pressaient le pas, craignant probablement que la situation ne dégénère. Les rares voitures qui circulaient roulaient vite. Des groupes de policiers étaient placés au niveau de toutes les entrées principales de l'Avenue, particulièrement vers la Rue de Rome, l'Avenue de Paris et l'Avenue Mohamed V.


Très vite, j'ai aperçu du mouvement à l'intersection de la Rue de Rome. Des dizaines de policiers, dont certains étaient cagoulés, bloquaient l'issue, scrutant de loin un premier groupe de manifestants qui tentaient d'accéder à l'Avenue H.B. Les gens commençaient à se rassembler autour des policiers, qui laissaient paraitre des signes d'extrême nervosité. Les journalistes aussi ont accouru. Au bout de quelques minutes, sans aucun avertissement préalable, une dizaine de policiers a chargé en direction des manifestants qui se rapprochaient lentement, après avoir lancé une ou deux bombes lacrymogènes. Leurs collègues restés derrières eux ont commencé à nous disperser aussi, en tapant avec leurs matraques dans leurs casques de protection et nous sommant de rentrer chez nous : "barra raoua7" criaient-ils (rentrez chez vous). 


Il était 10h30 du matin, et j'avais compris que les policiers n’envisageaient pas du tout de laisser les manifestants atteindre l'Avenue. Il était clair que leur consigne était de ne permettre en aucun cas les rassemblements de manifestants. Je me suis alors rapproché de l'Avenue de Paris, d'où on entendaient de loin des slogans criés par d'autres manifestants qui avançaient. Ils étaient beaucoup plus nombreux et se rapprochaient lentement. Un groupe de quelques dizaines de policiers entouraient leur Chef, qui leur donnait manifestement de nouvelles consignes. Très vite, ils lancent la première charge. Une première rangée de policiers couraient vers les manifestants, suivis d'un camion chargé d'autres agents. Le gaz saturait l'air, et les foules venues assister au spectacle étaient dispersées par les flics restés sur place.


Un premier jeune manifestant a été trainé par 4 flics. Ses amis ont accouru à son secours, et ont été spontanément suivis par des dizaines de personnes qui assistaient à la scène. Les policiers, surpris par un  tel mouvement de foule et de solidarité, ont vite relâché le manifestant. Les gens ont commencé à applaudir cette libération, quand le gaz nous a obligé de courir dans tous les sens et de nous disperser.


Ce jeu du chat et de la souris a duré quelques dizaines de minutes, quand les renforts de flics sont arrivés et ont décidé de charger, cette fois dans toutes les directions et simultanément dans toutes les rues perpendiculaires à l'Avenue. J'ai été emporté par la foule dans l'Avenue de France. C'est là qu'on a compris que les policiers nous cernaient, par devant et par derrière, ce qui nous a obligé à prendre les premières ruelles qu'on croisait.


Les flics nous poursuivaient toujours en lançant du gaz. Je me suis alors réfugié avec une quinzaine de manifestants dans une cage d'escalier, ayant de plus en plus de mal à courir et respirer à cause du gaz. Nous avons pris les escaliers et étions tous dans un sale état. Certains n'arrivaient plus à bouger au bout de quelques marches, tellement ils suffoquaient. J'ai essayé d'ouvrir la fenêtre du premier étage de l'immeuble, mais elle était condamnée. L'air était de plus en plus concentré en gaz. J'ai réussi à monter au deuxième étage où la fenêtre était ouverte. J'ai respiré un peu d'air frais, les gens toussaient et pleuraient autour de moi. Une habitante de l'immeuble a ouvert sa porte et nous a proposé de l'aide. Je lui ai demandé de nous filer du citron pour nous soulager un peu. 


Après avoir repris mes esprits, j'ai quitté l'immeuble. Les policiers étaient partout, bloquant surtout les issues vers l'Avenue HB et poursuivant toujours les gens. J'ai rencontré des gens affolés, entrain de tousser et de suffoquer. J'ai aperçu les premiers blessés secourus par leurs amis. J'ai réussi à me faufiler en direction du "Passage" où une bataille rangée opposait policiers et jeteurs de pierres. Je me suis dirigé vers l'avenue de Londres avec d'autres manifestants, quand 3 fourgons remplis de policiers nous ont poursuivi en zigzaguant et en percutant les voitures stationnées et celles qui circulaient. La scène était invraisemblable. C'est là où ils ont cerné un groupe de jeunes, sont sortis de leurs véhicules et les ont matraqué avec une violence inouïe. Ils ont emporté deux jeunes, le troisième était à terre et ne bougeait plus. Il était apparemment gravement blessé. Quelques minutes après, une ambulance est venue le chercher.


Je n'ai jamais de ma vie assisté à autant de violence et de déchainement de la part des policiers. Ils n'avaient aucune considération pour les gens qu'ils poursuivaient, leur seul objectif était de frapper, de leur faire mal. Il est vrai que j'ai vu des jeunes jeter des pierres sur les flics, mais ils étaient minoritaires et isolés du reste des manifestants pacifiques. Je n'ai vu aucun cocktail Molotov. Je n'ai pas non plu aperçu de milices accompagnant les policiers.


Ce qui devait être une manifestation pacifique s'est transformée en une véritable chasse à l'homme. Les gens avaient peur, les passants rebroussaient chemin en courant, les voitures faisaient demi-tour. Les policiers ne se contentaient pas seulement de faire respecter l'interdiction de manifester à l'Avenue HB, ils pourchassaient les gens dans tout le quartier. On lisait la terreur dans le visage des manifestants et des passants. Aujourd'hui, j'ai mesuré à sa juste valeur la violence de l’État tunisien, et réalisé que l'État policier de Ben Ali est encore debout et en pleine forme.



4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour

Ouf la police et le gouvernement sont bien là pour mater les infâmes pacifistes et les horribles démocrates, et laisser les délicieux salafistes dicter leur loi par tous les moyens !

Anonyme a dit…

Nos dirigeants sont-ils capables de comprendre qu'il existe un autre régime que la dictature pour les uns et l'impunité pour les autres ?
J'ose espérer que les prochaines élections donneront à Ennahdha la leçon qu'elle mérite.
A moins qu'on nous explique que vu la situation il soit préférable de ne pas organiser de telles élections qui seraient trop dansgereuses pour notre beau pays ?

bolbol a dit…

j'étais present sur les lieux,ce qui concerne les milices j'ai vu ca de mes propres yeux, j'ai assisté à l'agresion verbale de Jawher B.Mbarek par trois barbus dont l'un filmait la scene

Anonyme a dit…

les barbues et leur milices en voit ça partout dans les rues partout dans les grands et les petites villes leur nombre gonfle du jour en jour ,les gens n'osent plus allez aux mosqué parce que la dedans c'est leur loi et gare à celui qui dit le contraire ,le jour de la fête de la mort de bourguiba un imam commence par l'insulter alors un vrai musulman se lève et dit :un musulman ne doit pas insulter un autre surtout dans une mosque surtout qu'il est mort (othkorou maoutekom be kheir) et là un groupe de barbues l'agresse et le mettent dehors,, c'est la tunisie d'aujourd'hui une dictature religieuse qui grandissent jusqu'à devenir pire que la première .